lunes, 23 de noviembre de 2015

L'histoire secrète du manifeste des 343 , 1971



Un million de femmes se font avorter chaque année en France. 

Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes.Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre.

Le manifeste des 343, Simone de Beauvoir, éd. Le Nouvel Observateur, 1971, p. Introduction

La peur du ventre qui enfle


Jean Moreau, c'était la grande gueule de "l'Obs", l'éternel révolté. Un journaliste comme on n'en fait plus, ce fils de garagiste avait débuté à la documentation de "l'Express", avant de diriger celle du journal de Jean Daniel. Un drôle de zébulon, ami de Sartre et Glucksmann, un cégétiste apprécié de ses patrons, qui passait sa vie dans les usines, les manifs, sur les grands boulevards à distribuer "la Cause du peuple".

Jean, c'était celui avec qui on aimait refaire le monde, celui à qui on venait raconter sa vie. Les filles surtout. Elles se savaient en confiance, cet homme-là avait lu et relu "le Deuxième Sexe". Elles pouvaient tout lui dire : l'amour souvent gâché par le manque d'insouciance, le plaisir surveillé, la peur obsessionnelle du ventre qui enfle.



Garder l'enfant ou braver la loi


De la préhistoire pour les jeunes générations... Pourtant, ce n'est pas si loin. Fin des années 1960, début des années 1970, on prônait l'amour libre sans en avoir les moyens. Malgré la loi Neuwirth sur la contraception et les campagnes d'information du Planning familial, seules 6% des femmes prenaient la pilule. "Ici Paris" et "France Dimanche" la disaient alors dangereuse et inefficace. On baisait, en priant le ciel que ça n'arrive pas... Celles qui "tombaient" enceintes n'avaient qu'un choix : garder l'enfant ou braver la loi.

Les privilégiées partaient en Grande-Bretagne ou en Suisse, trouvaient dans leurs relations un médecin qui, moyennant finance, acceptait de faire le sale boulot. Les autres bricolaient, des aiguilles à tricoter, une sonde, des pastilles d'eau de Javel... Beaucoup y perdaient leur fécondité et, dans 1 cas sur 1.000, leur vie. Après des années de silence, l'opinion publique découvrait l'horreur des avortements clandestins grâce notamment aux féministes.
"Il se passe quelque chose dans mon ventre"

Personne ne pourrait aujourd'hui entendre ces filles qui hurlaient : "Il se passe quelque chose dans mon corps, une croissance, un processus biologique qui m'est intolérable. Je veux donc l'enlever de là... malheureusement, me dit-on, c'est un futur être humain, il appartient à la collectivité. Que la collectivité fasse des oeufs, qu'elle les féconde, qu'elle vomisse le matin..."

Il fallait bien ça pour lutter contre tous ces cathos, ces salauds, ces machos... En face, on ne faisait pas non plus dans la dentelle. A Assas, les militants de Laissez-les vivre ! faisaient monter une jeune handicapée sur une estrade et demandaient : "Alors tu n'es pas heureuse de vivre?" Une centaine de personnalités révoltées par le projet de loi Peyret (qui proposait de légaliser l'avortement dans certaines conditions, en cas de viol ou d'inceste, notamment) dénonçaient, à l'automne 1970, "cette tentative de légalisation du meurtre, premier pas dans la voie de l'extermination idéologique qui, après les bébés mal aimés, prendra pour cibles les infirmes et les impotents, les débiles mentaux et les clochards...".



Simone de Beauvoir : "Je vais vous aider"


"Sales connes, hurle Mafra, la complice d'Anne Zelensky, je vous dégueule dessus, tas de bourgeoises, vous, vous pouvez toujours vous payer un avortement!" Un petit groupe décide quand même de tester l'idée auprès de Simone de Beauvoir. L'icône du féminisme français les reçoit dans son duplex de la rue Schoelcher. Le Castor, avec ses petits yeux bleus, son chignon impeccable, va, comme toujours, droit au but : "Eh bien, je trouve l'idée très bonne. Et je vais vous aider."
 
Première étape : écrire le "Manifeste". Dans le petit groupe fondateur, l'écrivain Christiane Rochefort et la comédienne Christiane Dancourt plaident pour une phrase unique : "Je me suis fait avorter." Faut-il être plus revendicative, faut-il inclure les hommes ? Une version commençant par : "Je déclare avoir été complice de l'avortement d'une femme...", signée par François Truffaut et Sami Frey, circule. Mais c'est Simone de Beauvoir qui rédige la version finale. En quelques phrases, tout est dit : "Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses... On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l'une d'elles, je déclare avoir avorté."

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